Jun 10, 2011

Résidences sécurisées, la prolifération des « gated communities »

Hier, France 2 diffusait dans Envoyé Spécial un reportage sur le développement « gated communities » en France. Ce système de résidences avec portail électrique, digicode et surveillance vidéo vient des Etats-Unis mais s’est exporté en France il y a une trentaine d’années sous l’action de promoteurs immobiliers qui avaient flairé un nouveau marché. Ils ne s’étaient pas trompés, répondant aux besoins d’une classe moyenne en mal d’ascension sociale, le concept a rapidement proliféré - essentiellement dans des villes du Sud de la France.

En visionnant ce reportage, j’ai été assez alarmée par ce nouvel amour des Français pour les clôtures et les séparations qui nous en dit long sur l’état actuel de notre société. Il faut reconnaître que les journalistes traitaient leur sujet en ayant déjà pris partie - comme souvent dans Envoyé Spécial – mais c’est indépendamment de ce biais que je pense également que les résidences sécurisées sont de nature problématique. Ou plus précisément, ce sont les motivations des personnes qui choisissent de s'isoler qui  sont  inquiétantes.

Hypocrisie ? J’ai moi-même vécu les premières années de ma vie uniquement dans des « gated communities » à Singapour. Ce point soutient en fait mon argument. En effet, il ne s’agit pas d’être pour ou contre le concept de résidence clôturée en soi, mais d’en analyser les motivations et les effets. Le cas de Singapour semble différent en au moins deux points. D’abord parce que  ce mode de résidence résulte moins d’un choix personnel que d’un manque d’alternatives (ces résidences, ou condominiums, sont extrêmement répandues). Ensuite parce que les communautés vivant dans ces résidences n’incarnent ni n’approfondissent une fracture sociale. 

Je ne généralise donc pas mon propos et c’est essentiellement des résidences visant à séduire les classes moyennes dont je parle. Ces résidences sont une version plus modeste et donc sensiblement plus abordables du modèle grand luxe dont elles s'inspirent. Classe moyenne, classe moyenne… nous sommes d’accord cela ne veux rien dire et la définir n’est pas un problème nouveau en sociologie, notamment en sociologie politique. Mais c’est précisément ce flou qui je crois explique un besoin de créer une apparence d’ascension sociale, de se distinguer du plus pauvre que soi par tous les symboles possibles - et surtout accessibles. A défaut de pouvoir radicalement changer de lieu de vie et de classe, il suffit de quelques transformations pour acquérir de nouveaux privilèges dont l’autre est exclu : l’accès privatisé à une piscine ou encore l’appartenance à une communauté sélectionnée par le loyer 20 à 30% plus élevé qu’à côté. Nuançons un petit peu, dans certaines régions de France (le Sud) elles peuvent être si répandues que les individus n'ont en fait pas le choix de vivre ailleurs qu'en résidences sécurisées.

En somme, nous faisons face à une nouvelle expression d’un phénomène de mimétisme social qui n’est pas du tout inédit. Alors pourquoi serait-ce plus inquiétant qu’une autre forme prise dans le passé ? Ce qui m’alarme ici c’est la peur de l’autre et de ce qui est différent, alors que notre société se diversifie et tandis que l’agenda politique et médiatique conforte ces opinions. La question est un peu celle de la poule et de l’œuf, est ce le discours politique qui crée la peur ou s’agit-il de récupération politique ? Je penche plutôt pour la seconde option, les phénomènes sociaux se développent à des échelles de temps bien plus grandes que celle du rythme de la vie politique. En revanche, certaines manières de traiter des thèmes comme la sécurité et l’immigration supportent et alimentent la peur de l’autre. C’est bien dommage, les effets électoraux sont peut être positifs  pour ceux qui tiennent ce discours mais les solutions assez peu constructives. En quoi confirmer aux individus qu’ils ont raisons de s’isoler et choisir de vivre uniquement avec des gens qui leur ressemblent peut-il apporter la cohésion sociale dont nous avons tant besoin ?

Ce qui m’inquiète aussi, c’est la difficulté de revenir en arrière dans le cas d'une mauvaise gestion de l’urbanisme social. Prenons l’exemple des barres d’immeubles dans les cités, « mauvaise idée » a-t-on finit par dire. Il aura fallu trente ou quarante années pour envisager une nouvelle génération de logements sociaux.  D’autant plus qu’il s’agit ici de résidences privées sur lesquelles la puissance publique n’a plus son mot à dire après avoir accordé leur construction.


Un autre problème que cette mode révèle est notre effrayante incapacité à vivre en société. Il semble qu’il faille s’isoler pour se sentir suffisamment à l’aise pour créer du lien social avec son voisin. Dans le reportage d’Envoyé Spécial, une résidence plutôt destinée aux retraités actifs (c'est-à-dire valides) nous montre bien que dans un contexte normal ces personnes ne se sentent ni prises en charges, ni en sécurité. Une des personnes qui témoigne parle de personnes pour qui la vie en résidence s’était mal passée et qui ont fini par partir, «  ces gens ne savaient pas vivre en société. » Paradoxe, c’est la société qui isole et l’isolement qui met fin à l'état de nature. Peut être faut-il ne nouveau rapprocher cette aberration de la peur d’autrui. C’est un problème et c’est une erreur de croire que vivre reclu avec ses pseudo-semblables permet de créer un environnement plus sécurisé. Les racines de ce sentiment sont beaucoup plus profondes et demain naîtra un nouveau critère pour se sentir différent du voisin. En attendant les promoteurs immobiliers peuvent s’en lécher les doigts, ils ont trouvé la formule magique qui permet de transformer la peur en or.

Lien: http://envoye-special.france2.fr/les-reportages-en-video/le-boom-des-residences-securisees-9-juin-2011-3527.html

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